– Est-ce que vous êtes une magicienne ?
– Euh….ça dépend dans quel domaine..
– Mais vous devez forcément le savoir !
– Si tel est le cas, je ne serais pas autorisée à vous en parler…Il est probable que le cercle de la magie ancestrale me l’interdirait…
-…(Alexandre réfléchit et me scrute)….Ok, alors je crois que je peux vous parler.
Alexandre, 21 ans, Gandalf du Seigneur des Anneaux, version juvénile, n’aurait probablement pas accepté de m’exposer son problème si je ne l’avais pas rejoint dans son monde.
De la création de l’Univers, aux actualités récentes, en passant par l’immortalité, l’empreinte de la magie et de l’intervention de forces obscures ou autres…constituent la réalité d’Alexandre.
Sa réalité n’est ni la vôtre, ni la mienne, mais pour autant, elle est tout aussi réelle et vraie pour lui.
Si je m’oppose à sa vision du monde, en induisant que peut-être, il souffre de troubles psychotiques, je nie sa réalité et je prends le risque de ne pas créer l’alliance nécessaire et indispensable à la réussite de la thérapie. L’échec le plus cuisant serait alors de ne pas réussir à aider Alexandre et à apaiser ses souffrances, quelles qu’elles soient.
D’autant que la demande du bel Alexandre n’était pas : « Aidez-moi parce que je souffre de délires psychotiques ». Son problème était de l’ordre de l’intégration sociale. Il voulait essayer de s’adapter et de se fondre « un peu » dans le monde « des Autres » ; sans passer pour un illuminé, un fou, mis en permanence à l’écart.
Car oui, la solitude et l’isolement sont de lourds fardeaux, même pour un grand sorcier..
La thérapie brève nécessite de rejoindre le patient dans sa vision du monde, dans les perceptions qu’il en a, d’en étudier les contours et d’amener au fur et à mesure d’infimes changements pour lui permettre d’envisager les choses sous un angle différent.
En quelque sorte, modeler et adoucir les pourtours qui génèrent de la souffrance.
6 mois après la fin de la thérapie, Alexandre a finit la réalisation de plusieurs ouvrages illustrés (une Trilogie…CQFD) portant sur les mondes féériques peuplés de créatures envoûtantes et mystiques, à destination d’un jeune public. Il est en lien avec des écoles primaires et des médiathèques, et en pleine négociation avec un éditeur.
Alexandre a gardé sa part de magie et s’est ouvert, à sa façon, au monde extérieur, en donnant accès à son monde imaginaire. Le regard des autres sur lui a changé. C’est un doux rêveur, plein de poésie qui ravit les enfants et quelques grands.
Et pour finir, me concernant, il m’a simplement dit ceci :
- Je sais que le cercle de la magie ancestrale protège l’anonymat de ses membres…mais moi, je sais qui vous êtes…
Je n’ai pas su comment le prendre, alors je me suis tus.
(Karine Curti Taës – Psychopraticienne thérapie brève)